Qu'est-ce que l'existence ?
Ceci est une histoire d'humanité. Une histoire abyssale qui, peut-être, ne possède ni début, ni fin, ni définition exacte. Une histoire qui, peut-être, ne demande qu'à se vivre.
Ce mois-ci, je voulais revenir sur une question effleurée dans un précédent billet : qu’est-ce que l’existence ? Pour explorer cette réflexion, il m’a fallu plonger dans différentes conceptions, me confronter à son ambiguïté et faire face à l’angoisse abyssale qu’elle génère. Lorsque j’ai commencé à écrire, je me suis retrouvée en proie à l’hésitation et la page blanche. Bien que le sujet m’attirait avec force, je doutais de ce que j’allais raconter. Et surtout, je me demandais : à partir de quelle pensée, de quel sentiment ou de quelle connaissance allais-je pouvoir commencer… ?
Une brève définition
Comme toujours, l’étymologie est une aide précieuse pour tenter de comprendre ce que l’on cherche à définir. J’ai déjà entamé ce travail dans Pensée sur l’art d’être soi et Quand commençons-nous à exister ?. Aujourd’hui, je considère l’existence comme la capacité individuelle à sortir de soi pour se manifester dans la réalité.
Quand j’énonce cette idée, j’imagine l’individu comme une sorte de poupée russe ou de boîte de Pandore contenant une essence personnelle – un ensemble de prédispositions singulières : valeurs, désirs, intelligences, attirances. Cette vision suppose qu’il existe, en chacun de nous, quelque chose qui ne demande qu’à se révéler, et que c’est par cette révélation, cette mise au monde de soi, que l’existence commence.
Déflouter le sens de l’existence
Avez-vous déjà essayé de définir ou de saisir le sens de l’existence ? D’une manière ou d’une autre, chacun de nous a déjà été confronté à cette sensation abyssale : la prise de conscience d’exister. J’apprécie particulièrement les mots d’Irvin Yalom, professeur émérite de psychiatrie à Stanford, qui rappelle avec lucidité que “chaque individu, à un moment de sa vie, traverse une phase de réflexion profonde qui l’amène à se confronter aux enjeux existentiels ultimes”.1
Quels sont ces enjeux ? Quand on pense à l’existence, des mots comme vie, durée, être apparaissent. Exister implique de vivre, c’est-à-dire de s’incarner dans la matière. Cette incarnation nous offre un territoire : un corps, un esprit, une trajectoire dont nous sommes à la fois les acteurs et les responsables.
La liberté passe par la prise de conscience de cette responsabilité. Nous pouvons exercer ce pouvoir au quotidien : façonner notre monde, choisir nos projets, poser des actes. Mais ce pouvoir peut sembler vertigineux. C’est là une des grandes angoisses de l’être humain : être libre… sans toujours savoir comment exercer cette liberté dans un monde mouvant, incertain, partagé.
Notre existence est indissociable de celle des autres : nous cohabitons avec une multitude d’êtres humains, à travers les cultures, les siècles et les territoires. Et pourtant, au cœur de cette cohabitation, nous expérimentons souvent un isolement fondamental : celui d’être seul face à nos choix, face à notre conscience, face à notre propre mort.
Oui, car l’existence humaine est limitée. Elle est par essence mortelle. Et c’est peut-être là, au fond, la plus grande angoisse : avoir conscience de sa finitude.
Désormais, l’existence me semble moins floue. Je commence à comprendre que mon sentiment d’exister naît par ma prise de conscience d’être : d’être un humain, vivant pour une durée limitée et indéterminée, capable de volonté et de décision, à condition de me saisir de ma responsabilité personnelle qui incombe à ma liberté d’exister.
Prendre conscience de l’existence
Cette réflexion m’est venue tôt. Je pense que les pratiques méditatives, auxquelles j’ai été exposée dès l’enfance, ont favorisé cette prise de conscience de l’étrange sensation d’être. À cette époque, je n’avais pas encore construit de véritable histoire identitaire. J’entrais doucement dans l’existence, brinquebalante – comme tous les enfants. Je découvrais le monde à travers mes sens, en vivant l’instant. Il n’y avait ni passé à regretter, ni futur à anticiper. Juste l’instant, brut, habité, et la simple sensation d’être en vie.
Ces pratiques ont certainement cultivé ma capacité à vivre en pleine conscience, tout en interrogeant mon rapport à l’existence.
Pour étayer mon propos, voici un passage du livre Thérapie existentielle d’Irvin Yalom :
Dans l’approche existentielle, l’investigation profonde n’est pas synonyme d’exploration du passé ; elle implique au contraire une distanciation des préoccupations quotidiennes afin de mener une réflexion sur sa situation existentielle personnelle. Cet exercice implique de pouvoir penser en dehors du temps, de questionner la relation entre nos pieds et le sol qui nous porte, entre la conscience que nous avons et l’espace qui nous entoure, de s’interroger enfin, non sur ce qui nous a permis de devenir qui nous sommes, mais sur le fait que nous sommes.
J’aime la profondeur de cette pensée, qui rappelle avec authenticité à quel point le sentiment existentiel se vit au présent.
À quel moment prenons-nous conscience du sentiment d’existence ?
Cette prise de conscience n’arrive pas d’un seul coup. Elle émerge progressivement, souvent de manière diffuse, au fil des expériences de vie. Parfois à la faveur d’un bouleversement, d’une perte, d’une émotion intense. Parfois dans le calme, à la faveur d’un silence.
Mais elle commence toujours, je crois, par le sentiment d’être soi. Ce sentiment d’un "je" – fragile mais tenace – qui émerge et nous fait dire : j’existe. C’est souvent dans l’enfance, lors des premiers moments d’introspection ou de solitude, que cette sensation apparaît. Et plus tard, elle s’intensifie à mesure que l’on questionne notre place, notre rôle, notre devenir.
Pourquoi cette dimension existentielle devient-elle parfois si envahissante ? Parce qu’elle touche au plus profond de ce que nous sommes : des êtres conscients de leur présence au monde, et en quête de sens. Cette conscience nous arrache à l’instinct et nous projette dans une recherche permanente. C’est peut-être cela, l’humanité : ne pas se contenter d’être, mais vouloir comprendre pourquoi l’on est, et comment l’on pourrait mieux être.
Le sentiment même de soi : entre biologie et conscience existentielle
Dans Le Sentiment même de soi2, Antonio Damasio propose une exploration fascinante de ce qu’il appelle « la conscience du noyau » – ce point de rencontre entre les mécanismes corporels et l’émergence du sentiment d’être. Selon lui, notre conscience naît d’un processus biologique fondamental : la capacité du corps à se représenter lui-même en action, dans un environnement, à chaque instant. C’est cette cartographie continue du vivant, à travers les émotions, les perceptions et les régulations internes, qui permettrait l’émergence de cette forme primaire de conscience que nous associons au « soi ».
Cette idée est d’une puissance rare, car elle relie intimement notre sensation d’exister à notre condition organique : nous ne pensons pas l’existence uniquement parce que nous avons un esprit, mais parce que notre corps, en interaction constante avec le monde, génère une dynamique d’autorégulation consciente. Le soi se construirait alors dans cette rencontre entre biologie et narration : entre la sensation présente du corps vivant et l’histoire que l’esprit se raconte.
Ce qui me touche particulièrement dans cette vision, c’est sa simplicité complexe. Damasio ne nie ni l’émotion, ni la subjectivité, ni la profondeur existentielle : au contraire, il montre que ce sont nos émotions, nos états affectifs et notre capacité à ressentir qui constituent la trame de notre présence à nous-mêmes. Autrement dit, ce que nous appelons le sentiment d’exister ne serait pas un simple concept abstrait, mais une expérience incarnée, ressentie, vécue.
Cela m’inspire une réflexion : peut-être que le sentiment d’existence est d’abord une sensation avant d’être une pensée. Une présence à soi, fluide, mobile, parfois confuse, mais toujours là, à l’arrière-plan de notre conscience. Ce sentiment de soi, tel que le décrit Damasio, n’est pas une certitude philosophique figée, mais un flux vital que nous apprenons à reconnaître. Il se renforce ou s’efface, selon les moments, les expériences, les ruptures ou les émerveillements. Il est le tissu même de notre humanité.
Ainsi, notre réflexion sur l’existence ne peut ignorer cette dimension corporelle et affective. Exister ne consiste pas uniquement à penser ou à se questionner – exister, c’est d’abord ressentir. Ressentir son souffle, son rythme, sa tension intérieure, l’élan de la joie ou le poids de la tristesse. C’est dans ces mouvements subtils, souvent imperceptibles, que se construit notre présence au monde.
Dans cette perspective, le développement spirituel dont je parlais plus tôt pourrait être vu comme un approfondissement de la conscience de soi à travers les couches de notre vécu corporel et émotionnel. Une spiritualité incarnée, pleinement ancrée dans le vivant.
L’existence précède l’essence… vraiment ?
C’est ici que se croisent l’essence et l’existence, dans ce petit interstice existentiel qui nous rappelle que nous sommes des êtres vivants, mais qu’il ne suffit pas de vivre pour se sentir en vie. Cette nuance est capitale. Elle traverse les récits intimes que j’entends en consultation : ce sentiment triste-amer d’être spectateur de sa propre vie, de passer à côté de soi, comme si quelque chose, au fond, attendait d’être vécu – mais demeurait voilé, inaccessible. Une intériorité perçue mais non habitée, un soi ressenti mais non incarné.
Que se cache-t-il derrière ce rideau ? Comment se saisir de cette profondeur intérieure et faire corps avec elle ? Comment se sentir soi ? En vérité, comment incarner son essentiel ? Voilà l’usage de la question “qui suis-je ?” : non pas pour trouver une définition figée, mais pour cheminer vers une manière d’être au monde, singulière, vivante, fluide, toujours en devenir.
Rappelons que existere signifie “sortir de, s’élever, se manifester, se montrer”. Et il me semble tout à fait possible d’exister de multiples façons. Peut-être même que la conscience spirituelle de l’existence grandit avec nous, et que le sentiment d’exister est directement lié à notre développement intérieur – émotionnel, psychologique, spirituel.
J’émets l’hypothèse que ce développement se nourrit de la qualité des relations que nous tissons, de l’accompagnement que nous recevons, et de l’espace laissé à la reconnaissance de notre essence. Peut-être est-ce cela, le secret d’une existence pleinement vécue : partir de soi pour sortir de soi, non dans une fuite, mais dans une manifestation. Une incarnation.
La philosophie existentialiste, avec Jean-Paul Sartre en tête, soutient que l’existence précède l’essence. Une proposition pertinente dans un monde qui nous demande de nous inventer, certes. Mais j’aimerais nuancer : ce paradigme a peut-être été forgé en l’absence d’une véritable guidance intérieure ou spirituelle. Dans une perspective plus intégrative, il me semble que l’essence est déjà là, silencieuse, comme un noyau endormi, et que notre mission serait de la réveiller, de l’écouter, de lui faire place. Alors seulement, notre existence pourra la refléter.
Je me demande souvent quels outils, quelles approches, quelle éducation intérieure pourrait-on imaginer pour que, dès le plus jeune âge, chacun puisse partir de soi, de ses ressources, de sa sensibilité ? Et ainsi construire une existence alignée avec sa puissance intime ?
Car exister, ce n’est pas seulement être en vie. C’est vivre en conscience, dans l’instant présent, avec lucidité, désir et engagement. C’est sentir que le futur s’actualise en nous, ici et maintenant.
Et si, finalement, ce n’était pas l’existence qui précède l’essence, mais le sentiment d’être – ce frémissement unique, cette vibration intérieure, cette conscience douce d’être soi – qui précède et conditionne l’expérience même d’exister ? L’essence, alors, serait comme une graine contenant la promesse de notre devenir. Et l’existence, son éclosion consciente.
Notre histoire n’est peut-être rien d’autre que la somme de nos présences à nous-même.
Chaque jour, il nous revient de nous poser cette question essentielle : avons-nous été vivants ? Et, surtout : comment pouvons-nous continuer à l’être, jusqu’au dernier instant ?
Alors, chers lecteurs et chères lectrices : laissez votre essence faire éclore la vie qui frémit en vous. Exprimez vous. Soyez présents, soyez libres, soyez vivants !
Je suis Marie Lourenço, psychologue et entrepreneure engagée. Chaque jour, j’œuvre pour guider l’humain à se sentir bien.
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Psychothérapie existentielle, Irvin Yalom (2017)
Le sentiment même de soi, Antonio Damasio (1999)