Quand commençons-nous à exister ?
Ceci est une histoire de décision. Le sentiment d'existence, pluriel et subjectif, semble tributaire d'un choix : celui de vivre.
Ces derniers temps, une réflexion a animé mes pensées : à quel moment commençons-nous à vivre ? J’ai plusieurs fois discuté de la période ou de l’instant de bascule qui nous offre le sentiment d’entrer dans l’existence. Est-ce à notre naissance ? Ou commençons-nous à vivre plus tard, à l’âge de 18, 30 ou 50 ans ? Quel genre d’état de conscience, de crise intérieure ou de révélation personnelle nous donne le sentiment de commencer à vivre ?
La naissance, un commencement ?
Notre date de naissance marque l’histoire d’une arrivée, la nôtre. Mais suffit-elle pour nous donner le sens de l’existence ? Ou commençons-nous à vivre plus tard, à 18, 30 ou 50 ans ? Quelles périodes de crise, d’émancipation, de tension, nous permettent de nous sentir exister ? Pouvons-nous naître plusieurs fois ?
Dans Les débuts, par où recommencer1, la philosophe Claire Marin se demande “quand ma vie commence-t-elle ? Plus exactement : à quel moment je commence ?”. Inspirée par Paul Ricœur, elle propose de voir l’existence non comme un état donné à la naissance, mais comme une construction, façonnée par nos expériences et nos choix. Dans la même idée, Xavier Pavie nous propose de cesser d’être les enfants de nos parents et de préférer Le choix d’exister2.
Notre entrée dans la matière, faite de corps et d’esprit, ne semble pas suffisante pour reconnaître notre existence. Il semblerait qu’elle se révèle au fil du temps et de nos expériences, par la conscience que nous développons – celle de la conscience de Soi – et par le sentiment spirituel associé – celui du sentiment d’exister. L’existence devient alors cette expérience profondément intime et subjective que l’on nomme Soi et qui se décline en différentes formes d’expression de Soi.
Mais qu’est-ce que l’existence ? Et quel est ce sentiment d’exister, si subjectif et intime, aux contours divers et variés, dont l’intensité et la profondeur diffèrent d’une personne à l’autre ?
Qu’est-ce que l’existence ?
Pour mieux comprendre ce sujet qui m’obsède, j’ai cherché à le définir. De quoi parlons-nous vraiment ? L’Académie Française définit l’existence comme “le fait d’exister, de se distinguer du néant” ou comme la “réalité d’un être, d’une chose, telle qu’elle est donnée dans l’expérience et dans la conscience”. Ici, l’existence semble correspondre à la vie, ce laps de temps qui débute par notre naissance et qui se termine par notre mort. Avant, je n’existais pas, et après, je n’existerai plus. Pourtant, il ne suffit pas de respirer, de manger, de parler ou de marcher, pour se sentir exister. Cette réflexion est rondement menée par François Flahault dans Le sentiment d’exister3, qui nous demande :
Qui n’a jamais éprouvé le sentiment de trop peu exister ? Voire même d’inexister. Être conscient de soi-même ne garantit pas que l’on se sente exister.
Alors je me suis intéressée de nouveau au verbe “exister”, que j’avais défini dans Pensée sur l’art d’être soi. Du latin existere, ce verbe signifie « sortir de, s’élever, se manifester, se montrer ». Cette définition m’avait permis d’aborder l’existence comme notre capacité à sortir de soi pour se manifester dans la réalité, et puisque c’est dans leur manifestation que les choses se révèlent, j’avais questionné la manière dont nous faisons usages de nous-même pour vivre.
Vivre et exister semblent donc intrinsèquement liés mais une nuance persiste, celle du sentiment.
Le sentiment d’exister
Dérivé du verbe sentir, un sentiment désigne d’abord une faculté sensorielle, une capacité à percevoir des impressions, qu’elles soient physiques, comme le froid ou la douleur, ou plus subtiles, comme une atmosphère ou une ambiance. Cette acception, bien que vieillie dans son usage courant, rappelle que le sentiment est enraciné dans l’expérience immédiate du corps et du monde : un fou rire entre amis, l’exaltation d’un projet qui prend forme ou même le silence profond d’une méditation.
Mais le sentiment dépasse largement cette simple réception passive d’impressions. Il est aussi un mode de connaissance, une appréhension intuitive et subjective de la réalité. Nous parlons ainsi du sentiment du beau, du sentiment du danger ou encore du sentiment d’appartenance, autant de façons de percevoir des vérités sans nécessairement passer par le raisonnement ou l’expérience directe. Cette dimension du sentiment renvoie à une forme de conscience implicite, une résonance intérieure face au monde et à soi-même.
Le sentiment est aussi profondément lié à l’affectivité. Il constitue un phénomène psychologique durable, distinct de l’émotion qui, elle, est plus brève et intense. Ressentir un sentiment d’amour, de peur ou encore un sentiment d’exister, c’est vivre une tonalité affective qui imprègne notre rapport à nous-mêmes et au monde.
Ainsi, lorsque l’on parle de sentiment d’exister, il ne s’agit pas seulement d’une prise de conscience intellectuelle de notre être, mais bien d’une expérience affective et vécue de l’existence. À la différence de la simple conscience de soi, qui peut être envisagée de manière plus cognitive et réflexive, le sentiment d’exister nous engage dans une expérience sensible et profonde de notre propre présence.
Dès lors, le sentiment d’existence repose sur la manière dont on se représente soi-même, mais aussi les choses et le monde. Il s’agit d’un sentiment que nous construisons à l’intérieur de nous mais qui dépend de notre relation avec l’extérieur et la manière dont nous faisons l’expérience de la vie et des sensations.


Construire notre existence
Cela me semble donc cohérent d’affirmer qu’il ne suffit pas d’être un esprit incarné dans un corps pour exister, qu’il ne suffit pas de naître. Quelque chose de plus complexe se cache derrière. Quelque chose qui se construit, paradoxalement, tout au long de notre existence.
Je peux méditer et me sentir respirer. Je peux aussi me nourrir et goûter l’aliment. Je peux ressentir mes muscles endoloris après un entraînement. Tous les jours, je peux me réveiller, respirer, manger, me laver, m’habiller, travailler, discuter, m’endormir. Ces activités du quotidien, pour les plus essentielles, me permettent de me maintenir en vie tout en ayant un certain degré de conscience de soi. Est-ce suffisant pour me sentir exister ? Non.
Mon sentiment d’exister est variable et dépend de ma propre subjectivité, de mes propres représentations d’une vie pleinement vécue. D’ailleurs, l’un de mes posts Instagram raconte ma peur de ne pas vivre assez. Une fois, imaginant ce qui pouvait me stopper net, j’avais été terrifiée à l’idée de mener une existence remplie de vide, une vie dont je n’aurais pas su extraire la grandeur. Cette angoisse de ne vivre rien, de n’être rien, est un moteur existentiel dont je suis la seule à définir les indicateurs de réussite.
Toutefois, j’ai rencontré certaines particularités chez les personnes qui se sentent vivantes et qui l’expriment. Parfois, c’est une ferveur palpable, d’autres fois, c’est un sentiment de douceur et de plénitude. À chaque fois, il y a ce petit quelque chose qui dit : “Oui, je me sens bien et je suis en vie !”. Ce sont des yeux qui pétillent, des jambes qui trémoussent, un sourire qui s’élargit ou un corps qui s’épanouit. C’est un sentiment qui se donne à voir. N’est-ce pas la définition même du verbe exister ?
Dans mon métier, je rencontre de nombreuses façons d’exister, plus ou moins intenses, plus ou moins heureuses, plus ou moins conventionnelles. Mais ce que j’observe à chaque fois, c’est le désir d’exister. Un désir intime et profondément personnel qui s’articule avec les conditions de vie auxquels nous sommes confrontés ou que nous choisissons d’adopter.
Une histoire de déclinaisons
Votre existence n’est pas la mienne. La direction, l’intensité et la profondeur de mon sentiment d’exister n’est pas le vôtre. Alors, comment pouvons-nous penser nos formes d’existence ?
D’hier à aujourd’hui, n’avez-vous jamais eu l’impression de vivre plusieurs vies ? N’avez-vous jamais connu différentes formes d’existence ? En empoignant la vie, qu’avez-vous fait exister ? Un enfant, une entreprise, une communauté, un tableau, un évènement ? Qu’avez-vous changé ? Une coupe de cheveux, un style vestimentaire, un partenaire, un lieu de vie ? Quelles identités personnelles ou professionnelle avez-vous déjà créées, transformées, quittées ?
Le sentiment d’exister contient quelque chose d’universel, tempéré par deux polarités qui s’étire du « Non, je n’existe pas » au « Oui, j’existe ». J’ai très souvent observé ce désir d’exister, que je considère comme une force vitale qui façonne nos choix, nos engagements et notre rapport au monde. Il ne se réduit pas à la simple survie ni même à la satisfaction de nos besoins fondamentaux. Il s’agit d’une quête, parfois silencieuse, parfois ardente, qui nous pousse à chercher du sens, à créer, à aimer, à expérimenter, à nous dépasser.
Si certaines personnes semblent animées par une intensité évidente, d’autres, au contraire, peinent à ressentir cette flamme intérieure. La monotonie, les contraintes, les blessures, les conditionnements peuvent étouffer ce sentiment d’existence, le rendre plus fragile, plus diffus. Pourtant, il ne disparaît jamais totalement. Il sommeille, prêt à être réveillé par une rencontre, une découverte, une prise de conscience, un acte de volonté.
Mais comment, concrètement, favoriser ce sentiment d’exister ? Quelles expériences, quelles postures, quels engagements peuvent nous aider à ressentir cette intensité d’être ? Les réponses sont multiples mais un travail me semble nécessaire, celui de la connaissance de soi : il faut s’essayer soi-même pour apprendre à se connaître et révéler ce qui existe en nous.
Construire notre existence, c’est précisément cela : un travail de réajustement constant entre ce que nous sommes, ce que nous ressentons et ce que nous désirons devenir. C’est apprendre à écouter ce qui vibre en nous, à honorer nos aspirations profondes, à oser embrasser la vie dans ce qu’elle a d’incertain et de vertigineux.
L’évidence est-elle la clé ?
Il me plaît à penser que je suis devenue un humain professionnel. Mon métier m’offre une place de choix pour rencontrer la diversité de nos vécus et pour tenter d’en comprendre le fonctionnement. Mais je n’ai pas attendu de l’exercer pour me saisir de cette réalité, j’entre en relation avec l’autre depuis que je suis née. J’observe, je regarde et je questionne le sens de l’existence – et probablement celui de la condition humaine – depuis mes premiers âges de conscience.
Tous les jours, j’explore la conscience de soi, le sentiment d’exister et les conséquences négatives générées par le manque d’être. En fait, mes observations m’ont guidée vers l’idée que les pathologies reflètent bien souvent une incapacité à exister. Et je me demande intensément quels sont les facteurs qui conditionnent, facilitent ou entravent cette capacité à être soi ?
Nos lignes de vie peuvent être des fardeaux comme des cadeaux. L’enchevêtrement de nos expériences nous laissent parfois pantois face aux dynamiques surprenantes et spontanées qui rythment nos existences. Sont-elles des ralentisseurs ou des épreuves nécessaires ? Les réponses sont multiples, nuancées, parfois complexes, parfois très simples.
Nous ne choisissons pas de naître mais nous pouvons choisir de vivre. Nous ne choisissons pas la manière dont nous apprenons à exister – ce rôle est attribué aux parents et aux éducateurs – mais nous pouvons choisir d’apprendre à exister autrement.
En fait, exister ne se décrète pas : cela se façonne, se ressent et se vit, au gré de nos choix et de notre capacité à révéler ce qui existe en nous. Devenir soi est un chemin sur lequel le sentiment d’exister est une boussole, car nous zigzaguons souvent entre le sentiment d’être à sa place parmi les autres et ce qui nous intéresse ou nous plaît en nous-même.
Pour terminer cette réflexion, je vous confie quelque chose d’assez fort, que j’observe dans mes accompagnements et qui m’émerveille : le sentiment d’évidence. Je crois qu’il est le plus bel indicateur d’une existence pleinement exprimée, lorsque le sentiment d’existence s’impose à l’esprit avec une telle clarté et une telle force qu'on n'a besoin d'aucune autre preuve pour en connaître la vérité.
Alors, chers lecteurs et chères lectrices : saisissez votre désir d’exister pour faire éclore la vie qui frémit en vous. Exprimez vous. Soyez présents, soyez conscients, soyez vivants !
Je suis Marie Lourenço, psychologue et entrepreneure engagée. Chaque jour, j’œuvre pour guider l’humain à se sentir bien.
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