Pensée sur l'art d'être soi
Ceci est une histoire d'apprentissage. Une histoire qui débute à la naissance et qui se construit tout au long de notre existence...
Décembre est bien entamé, et cette année encore, je ressens beaucoup de gratitude. Bien que l’année fut difficile, je reconnais volontiers ce qu’elle a su m’apporter : des joies nouvelles, des rencontres inspirantes et des ambitions renouvelées. Mais le sujet n’est pas là, aujourd’hui. Je voulais surtout vous parler d’une question qui m’est passée par la tête, cette semaine…
Quel est mon art ?
L’hiver invite à l’intériorité et notre culture nous berce d’une ambiance aimante et reposante. Mon état d’esprit navigue à merveille dans cette aura générale : en ce moment, je suis concentrée sur ma réalité intérieure, je prends le temps de me détendre, je marche et je médite. Et me voilà, un soir, à me demander subitement “quel est mon art ?”.
Je me suis saisie de ce questionnement comme on se saisit d’une feuille et d’un crayon pour noter les pensées qui nous traversent avec fulgurances et pointe de génie (d’ailleurs, c’est exactement ce que j’ai fait : je me suis levée avec conviction pour aller chercher mon carnet et mon stylo, et je me suis mise à noter ce qui me traversait l’esprit, convaincue que je venais de capter une réflexion qui méritait mon attention).
Je me suis demandé, très sérieusement, de quelles connaissances avais-je usées pour construire mon art ? et s’il existait une forme d’art dont je suis louée ? Car l’art est, selon le Larousse, au choix :
L’ensemble des procédés, des connaissances et des règles intéressant l'exercice d'une activité ou d'une action quelconque.
Une habileté, un talent, un don pour faire quelque chose.
Ces définitions se rejoignent pour n’en former qu’une, selon l’Académie Française, qui définit l’art comme : “technique, méthode, ensemble de procédés ou de règles propres à chaque genre de l’activité humaine et qui vient s’ajouter aux dons naturels”.
Me voilà donc à pianoter sur mon clavier pour vous partager cette réflexion spontanée. Je prendrai quelques jours pour la faire mûrir et vous la publier.
D’où vient mon art ?
Rapidement, j’ai posé le regard sur mes activités pour tenter d’identifier les ressorts de mon art : “que fais-je ? quels sont les produits de mes créations quotidiennes ?”.
À cet instant, quelque chose s’est arrêté en moi, laissant jaillir les réponses du cœur : au quotidien, je pratique l’art de la relation tout autant que l’art de vivre. Cette vérité m’est apparue avec une évidence assez étonnante : voilà ce que je ressens dans le cœur, mais que cela signifie-t-il vraiment ? Est-ce quelque chose que j’ai construit, que j’ai appris à faire ? Ou bien suis-je naturellement douée pour créer le lien, pour relationner, pour me sentir vivante et prendre soin de ce sentiment ?
De l’inné ou de l’acquis, comment puis-je discerner l’origine de mon art ? Et si, par un effort conscient, j’avais réussi à combiner mon essence personnelle avec mes différentes formes d’expression – mon travail, mes engagements, mes créations – pour véritablement me sentir exister ?
Quand l’art convoque l’essence
Revenons aux définitions citées plus haut, en débutant par la deuxième qui définit l’art comme “une habileté, un talent, un don pour faire quelque chose”. De cette définition, nous pourrions être doués d’une caractéristique naturelle qui nous permet de “faire”. Autrement dit, il existerait une capacité innée sous-jacente à nos productions, une certaine façon d’être qui conditionne ou oriente nos façons de faire.
Cette approche peut sembler réductrice, mais elle est en fait très puissante ! S’il existe effectivement des composantes naturellement présentes dès notre naissance, elles correspondent dès lors à notre potentiel. Ce qui signifie que nous possédons une puissance intérieure, riche en possibilités, qui peut être utilisée… ou non. Nous possédons un ensemble de ressources et de caractéristiques qui nous sont propres et qui peuvent s’exprimer… ou non.
Ce patrimoine initial peut s’illustrer comme un sac de richesses mis à disposition et qui se révèlera dans notre capacité à exister. Du latin existere, qui signifie “sortir de, s’élever, se manifester, se montrer”, l’existence reflète ainsi cette capacité à sortir de soi pour se manifester dans la réalité. Puisque c’est dans leur manifestation que les choses se révèlent, demandons-nous de quelles manières nos richesses personnelles sont-elles utilisées pour créer ? pour bâtir ? pour vivre ?
C’est ici, dans l’utilisation de l’innée – nos dons, nos talents, notre essence – que l’acquis va influencer la trajectoire de notre vie et mettre en lumière la force ou la faiblesse de nos conditions d’apprentissage.
Se mettre à l’œuvre pour exister
En reprenant la première définition citée, l’art serait “l’ensemble des procédés, des connaissances et des règles intéressant l'exercice d'une activité ou d'une action quelconque”. Ce qui renvoie dès lors à une forme de maîtrise acquise et spécifique à un domaine.
Par exemples, il peut s’agir de l’ensemble des techniques, savoirs et savoirs-faire propre à un domaine artisanal (tel que l’art de la ferronnerie qui donne naissance au métier de ferronnier), mais aussi de l’état des connaissances dans un domaine à un instant donné (scientifique, technique, artistique, médical, etc.), que l’on nomme “état de l’art”.
En ce sens, l’art serait un ensemble d’éléments acquis qui nécessitent un apprentissage. Or, tout apprentissage demande de la pratique : pour acquérir une connaissance ou une compétence, il est nécessaire de travailler à son développement jusqu’à atteindre une forme de maîtrise.
Ici, je vous renvoie à la thèse soutenue par Robert Greene dans son livre Atteindre l’excellence1. De cette maîtrise, il en parle comme une forme de pouvoir et d’intelligence mais aussi comme une sensation qui nous offre davantage de prise sur la réalité, sur les autres et sur nous-même. Il développe, tout au long de son ouvrage, le processus sous-jacent à l’atteinte de cette forme d’excellence. Le premier niveau étant l’apprentissage, le deuxième étant le créatif-actif et le troisième étant la maîtrise.
Je laisserai votre curiosité vous mener vers cette lecture, et je me contenterai de citer un paragraphe de son introduction :
Au fil des siècles, on a érigé un rempart autour de la maîtrise. Celle-ci a été baptisée génie et jugée inaccessible. On l’a étiquetée comme le résultat d’un privilège, d’un talent inné ou d’une conjonction planétaire extraordinaire. On en a fait quelque chose d’aussi insaisissable que magique. Mais ce rempart est imaginaire. Voilà le véritable secret : notre cerveau est le résultat de six millions d’années d’évolution et, plus que toute autre chose, l’évolution de ce cerveau a été conçue pour nous conduire à la maîtrise, ce pouvoir latent chez n’importe qui.
Le sens de l’effort
En dehors de tout handicap ou maladie psychique ou neurologique, l’apprentissage est permis grâce à un processus neuropsychologique complexe qui implique des interactions entre plusieurs régions cérébrales, systèmes neuronaux et mécanismes cognitifs.
Je ne rentrerai pas dans les détails ici, mais je tiens à préciser que ces mécanismes sont dynamiques et favorisés par des conditions internes (motivation, degré de pratique, état de santé…) mais aussi externes (environnement, feedback, méthode utilisée…). Ainsi, la maîtrise s'obtient par une combinaison d’efforts ciblés, de pratique répétée, et d’évolutions progressives dans nos circuits neuronaux.
En cela, les propos de Robert Greene ne sont pas idiots, bien au contraire. À condition d’être pourvus d’un cerveau et d’une psyché fonctionnels, de se doter du sens de l’effort, d’œuvrer avec concentration et détermination mais surtout – et avant tout – de le vouloir, nous sommes tous capables de développer nos talents personnels jusqu’à leur excellence.
Je pense alors à Xavier Pavie, un philosophe que j’affectionne particulièrement, qui débute Le choix d’exister2 avec ces mots :
Nous entrons dans la vie avec une forme et une structure biologique données, un sexe et un environnement attribués, c’est à peu près tout. Le travail reste à faire. De ces matériaux bruts nous avons à réaliser notre existence, choisir d’exister. Car personne ne réalisera notre existence à notre place, nous avons à la décider, à la mettre en œuvre, à la sculpter autant que les choses qui ne dépendent pas de nous puissent le permettre.
Devenir maître de soi
C’est ainsi que se croisent et s’entremêlent le potentiel inné qui nous habite et le processus nécessaire à son expression : l’apprentissage. Un apprentissage à la fois matériel et immatériel, qui mêle pratique assidue et quotidienne avec introspection personnelle. Identifier nos zones de génie exige un peu d’efforts, un soupçon d’audace et beaucoup de volonté, mais l’épanouissement personnel qu’il promet en vaut indéniablement la peine.
Par mon expérience et par l’ensemble des connaissances établies aujourd’hui3, je suis bien convaincue que nous naissons tels des matériaux bruts. Nous prenons part à la vie avec un patrimoine personnel, ce fameux “bagage de potentiels” qui peut se révéler ou non, en fonction de certaines conditions.
S’exprimera ou ne s’exprimera pas ? C’est ici qu’intervient le rôle déterminant de l’apprentissage, et notamment des conditions d’apprentissage. Car nos expériences, quelles qu’elles soient, orientent notre ligne de vie et la manière dont nous exprimons, ou non, ce potentiel. La manière dont nous vivons, ou non, en accord avec nous-même.
En écrivant ces lignes, je souris en pensant aux personnes qui m’ont souvent confiées le sentiment de “passer à côté de soi” ou de ne pas avoir la capacité de s’exprimer “telles qu’elle sont”. Bien souvent, nous tombons dans un rapport existentiel très fort : qui suis-je ? que fais-je ? quelle ma place ? quel est le sens ma vie (tant par sa signification que par son orientation) ?
L’émotion comme sens de l’existence
Face à ces questionnements, j’ai appris à poser deux questions : “Qu’est-ce que tu aimes ?” et “Qu’est-ce que tu veux ?”. Les réponses amènent une réflexion très personnelle, souvent teintée d’hésitation, parfois de gêne, mais toujours accompagnée de ce regard si particulier. Celui de celui ou celle qui fouille en soi : un regard perdu dans les souvenirs, remontant parfois jusqu’à l’enfance.
L’archétype de l’enfant intérieur est souvent convoqué quand il s’agit de revenir à soi. Et il me plaît de penser à cet état d’être, car l’enfance est bien un état du soi. Encore dénué d’idéologie et de culture acquise, l’enfant n’est pas encore compromis par les pensées et les idées de son temps et de son milieu. À l’origine, l’enfant est juste présent. Il est là, prêt à commencer son existence, à découvrir les joies et les peines, les amours et les haines. Il est prêt à essayer de vivre. Encore faut-il qu’il bénéficie des conditions propices à son plein développement et à l’épanouissement du “Soi” qu’il peut incarner.
Notre culture a malheureusement mis de côté un élément clé de ce plein développement : en bannissant le rôle de l’émotion dans notre rapport à l’existence, elle nous a coupé d’un pan psychophysiologique nécessaire à l’épanouissement de notre capacité à être. L’émotion, du latin emovere qui signifie “mettre en mouvement”, est une information primaire, psychophysiologique et hautement évolutive. L’enfant, encore libre des conditionnements et du “prêt-à-penser” de nos sociétés, est en lien étroit avec ce qu’il ressent. L’émotion est son premier indicateur, celui qui l’informe de son état intérieur. L’émotion lui donne l’élan pour aller vers ce qui lui convient, ce qui l’apaise, ce qu’il aime.
Observez le développement des enfants : très vite, émergent des préférences, des affinités, des facilités. On parlera de personnalité, d’identité, de caractère voire de tempérament. Certains seront des génies en rapport aux codes de nos sociétés, quand d’autres seront des poids. Certains seront adulés pour ces talents exceptionnels, quand d’autres seront écrasés, coupables d’être différents. De carcan en carcan, d’environnements soutenants ou dénigrants, l’enfant apprendra progressivement à s’exprimer ou à se taire. L’enfant apprendra progressivement qu’il a le droit – ou non – d’être qui il est.
C’est ainsi que l’art convoque les sens, car la manière de sentir et de ressentir ce qui existe en soi, couplée à la capacité de l’exprimer en dehors de soi, conditionne profondément le rapport que nous entretenons chacun avec notre existence. Et, souvent, je me demande si notre rapport à l’émotion n’est pas ce qui conditionne le plus notre manière d’être au monde ; si, finalement, l’émotion ne serait pas le véritable sens de l’existence.
L’art de vivre, un rapport à soi
Il faut parfois une vie entière pour découvrir ce qui se cache au fond de soi. Mais la vie n’attend pas, elle avance, elle change, elle transforme. Et ceux qui travaillent à la connaissance de soi, qui osent prendre à bras le corps leur propre rapport à l’existence deviennent acteurs, créateurs, puissants.
Ces individus deviennent les artistes de leur propre vie : parvenus à la maîtrise de soi, conscients de leurs inclinations personnelles, ayant appris les techniques et savoirs-faire essentiels à leur expression personnelle, ils créent leurs propres modèles et révèle bien souvent leur vocation. Ils existent, prennent corps et influencent le monde avec un état de conscience tout à fait particulier.
Cette pensée ne cède pas au désespoir, car notre cerveau est plastique : ce qui signifie que nous sommes capables, à tout âge, de transformer notre manière de penser et de fonctionner, de redéfinir nos comportements. Ainsi, il est possible, à qui le veut et le peut, de travailler pour devenir soi et révéler son art intérieur, son essence personnelle. Évidemment, plus la pratique est précoce, plus il est facile de maîtriser l’art d’être soi et de l’exprimer.
L’art d’exister
Après plusieurs années de quête existentielle, de raccrochage thérapeutique, de réflexions philosophiques et d’apprentissage en tout genre, puis-je me considérer aujourd’hui comme l’artiste de ma vie ? ma vocation peut-elle se rapprocher d’une forme d’artisanat de l’existence ?
Dans l’ouvrage L’art de coacher, Pierre Blanc-Sahnoun qualifie les professionnels de l’accompagnement comme des “humains professionnels”4 . Ainsi, en écoutant très tôt mes inclinations personnelles, en travaillant à l’apprentissage des connaissances et des compétences nécessaires pour faire ce qui me plaît, en œuvrant à la connaissance de mon essence personnelle, en construisant progressivement le cadre de mon expression, en apprenant à faire corps avec mes émotions… Puis-je aujourd’hui considérer avoir bâti le socle de mon existence ?
Je terminerai cette réflexion avec les mots de Fanny Nusbaum, dans son introduction à L’Art de l’excellence5 :
Mon objectif de vie a toujours été le même : faire de ma vie une œuvre d’art. Que ma vie soit belle à tous les niveaux […] dans le sens de l’esthétisme, de la qualité, de l’intensité, de tout ce que l’art apporte de grandiose et d’une parfaite communion avec la complexité du monde. […] Je veux que ma personne et mon existence, comme une œuvre d’art, ne laisse pas indifférent. Je veux aimer et haïr, pleurer et rire, éprouver, ressentir la vie en moi. Très fort.
C’est ainsi que l’art devient talent, que l’art devient maîtrise. Et que le sens de l’art de vivre devient maîtrise de soi.
Alors, chers lecteurs et chères lectrices : laissez vos émotions faire éclore la vie qui frémit en vous. Exprimez vous. Soyez présents, soyez émouvants, soyez vivants !
Je suis Marie Lourenço, psychologue et entrepreneure engagée. Chaque jour, j’œuvre pour guider l’humain à se sentir bien.
Pour découvrir mon monde, vous pouvez consulter mon site internet où je présente mes services d’orientation, d’accompagnement individuel et de conseils aux entreprises.
Je publie régulièrement sur Instagram, une plateforme que j’affectionne pour la proximité avec ma communauté et pour ses possibilités d’expression visuelle.
Retrouvez-moi aussi sur LinkedIn pour des discussions plus factuelles et le suivi des tendances et des innovations en santé (mentale, mais pas que…).
Atteindre l’excellence, Robert Greene (2014).
Le choix d’exister, Xavier Pavie (2015).
Les travaux de A. Maslow, C. G. Jung, K. Dąbrowski, S. Freud ou L. Vygotski, pour ne citer qu’eux, nous ont livré des approches, bien que variées, qui convergent vers une vision unifiée où le développement humain est à la fois une quête intérieure, un dépassement de soi et une interaction constante avec l’environnement.
L’art de coacher. Méthode, cas pratiques et outils, Pierre Blanc-Sahnoun (2024)
L’art de l’excellence, Fanny Nusbaum (2023)